Turin – saga Fiat

6 Mai 2019

Il était une Fiat

“CE QUI EST BON POUR FIAT EST BON POUR L’ITALIE”. GIANNI AGNELLI, À LA TÊTE DE LA FIRME PIÉMONTAISE DE 1966 À 2003, AURAIT ENSUITE CORRIGÉ CETTE PHRASE QUI LUI AVAIT ÉTÉ ATTRIBUÉE : “CE QUI EST MAUVAIS POUR TURIN EST TOUJOURS MAUVAIS POUR L’ITALIE”. MAIS L’IDÉE RESTE LA MÊME : DEPUIS PLUS D’UN SIÈCLE, QUAND FIAT CALE, C’EST TOUT LE PAYS QUI EST AU RALENTI.

Giovanni Agnelli, Gianni Agnelli (l’Avvocato) et John Elkann, actuel président de Fiat

En 1899, Giovanni Agnelli, un ancien officier de cavalerie de 33 ans, issu d’une famille piémontaise de propriétaires terriens, crée la « Societa Anonima Fabbrica Italiana Automobili Torino » (S.A.F.I.A.T). Il est entouré de financiers et d’aristocrates turinois passionnés, dont les noms marqueront également l’histoire italienne de l’automobile (Vincenzo Lancia, Joseph Farina, Virginio Bruni-Tedeschi…). Dans cette période de prospérité économique, la concurrence est vive, il existe alors une vingtaine d’usines rien qu’à Turin ! Mais Fiat devient rapidement la plus importante, en rachetant notamment les brevets de la société Ceirano, spécialisée dans les prototypes automobiles, dont un modèle s’est déjà vendu à plusieurs exemplaires. Il devient la Fiat 3 1⁄2 HP, une voiture de 2 à 3 places en vis à vis et sans marche arrière. Visionnaire, Agnelli est persuadé que la voiture ne doit pas être réservée à une élite fortunée, il la veut accessible au plus grand nombre. Et pour se donner les moyens de ses ambitions, il fait rapidement cavalier seul. Détenteur de 4 % du capital à la création de l’entreprise, il la dirige dès 1902 et en devient, quelques habiles manœuvres boursières plus tard, l’actionnaire majoritaire.

La Fiat 3 1/2HP, la toute première (1899-1900)
Circuit sur le toit de l’usine Fiat Lingotto, 1923

DES AUTOS ET UN LINGOT

Dès 1906, les 2/3 de la production sont destinés à l’exportation. L’entreprise se diversifie alors dans l’aviation, les chemins de fers, la métallurgie, la chimie, la presse… Pendant le premier conflit mondial, tout son outil de production est mobilisé pour l’effort de guerre : elle construit des armes, des munitions, mais aussi des bottes et des sacs de soldats. A tel point qu’entre 1914 et 1918, elle multiplie ses effectifs par 10 ! C’est en véritable institution qu’elle aborde donc le temps de la reconstruction. Après six ans de travaux, son siège, le Lingotto, est inauguré en grande pompe en 1922, en présence du Roi d’Italie. C’est la plus grande usine automobile d’Europe, certainement la plus moderne et la plus avant-gardiste aussi. Elle mesure 500 mètres de long et à chaque extrémité, Fiat fait ajouter deux rampes hélicoïdales qui permettent aux voitures de passer directement du rez-de-chaussée à la fameuse piste d’essais sur le toit. Fleuron de l’industrie italienne, premier employeur du pays – on travaille chez Fiat du berceau à la tombe -, son rôle devient prépondérant dans l’histoire du pays, tant sur le plan économique, social que politique. Giovanni Agnelli est nommé Sénateur à vie du royaume d’Italie, on parle de Fiat comme d’un «état dans l’état ». En 1932, c’est l’entreprise turinoise qui financera essentiellement, par exemple, l’autoroute Milan-Turin.

Finitions sur la Fiat 1100, 1939

LA DUCE VITA

Echange de bons procédés, la même année, le parti fasciste botte le constructeur américain Ford hors d’Italie. Une mesure protectionniste qui, malgré ses envies d’expansion à l’international, sied à Fiat dans un premier temps. Et pousse Agnelli à rejoindre les rangs de Mussolini. Il reçoit alors de ce dernier l’injonction de construire une voiture populaire, à moins de 5 000 lires, une véritable gageure. Même si elle sera finalement vendue plus cher, la Topolino -littéralement «Mickey Mouse», car ses deux gros phares avant évoquent les bajoues d’une souris-, l’ancêtre de la Fiat 500, sera produite à 600 000 exemplaires de 1936 à 1955. Et Hitler, inspiré par l’idée de Mussolini, commandera à Ferdinand Porsche sa Volkswagen… mais c’est une autre histoire. En 1939, c’est donc en présence du Duce, que Giovanni Agnelli inaugure l’usine de Mirafiori, dans le sud-ouest de Turin. Outil de production ultra moderne, elle sera aussi le théâtre de mouvements de grève sans précédent en Italie du Nord. Lors de la vague massive de contestation de 1943, quelque 100 000 ouvriers cessent en effet le travail. Cette opposition passive symbolise la résistance du peuple et coïncide avec le début de l’écroulement du régime mussolinien. Et du règne d’«Il Senatore».
Qu’il se soit rapproché du pouvoir par conviction ou par instinct de survie, Giovanni Agnelli est en effet accusé de collaboration avec le régime fasciste et momentanément privé de la propriété de Fiat. Il ne sera réhabilité que quelques jours seulement avant sa mort en 1945. Ses enfants décédés accidentellement quelques années auparavant, c’est l’aîné de ses petits-fils, Giovanni lui aussi, dit Gianni, 24 ans, qui hérite de l’empire turinois.

La Topolino commandée par Mussolini, 1936-1948

BRÈCHE MIRACULEUSE

Mais «l’Avvocato» -surnommé ainsi car il a suivi des études de droit- est encore jeune. Se conformant aux conseils avisés de son patriarche, il profite de la vie… et surtout du million de lires de rentes qui lui sont versées annuellement. Loin de Turin la laborieuse, dans ses villas de la Côte d’Azur ou à St Moritz, il côtoie actrices et politiques, mène grand train. Pendant ce temps-là, c’est le bras droit d’Agnelli Senior, Vittorio Valletta, qui tient la barre. Mais la mer est belle, l’industrie transalpine a le vent en poupe. On parle même de «miracle italien» -c’est d’ailleurs la 1ère fois que le terme de miracle est évoqué en économie- dont le secteur automobile est le symbole et dans lequel Fiat, avec 85 % de la production du pays, joue un rôle de premier ordre. La voiture devient un bien de consommation accessible aux classes populaires. En 1949, en Italie, on compte une voiture pour 96 habitants : une pour 11 en 1963. En dix ans (1949-1959), le nombre de salariés de l’entreprise piémontaise passe à 85 000 et sa production est multipliée par six : de 71000 à 425000 unités par an. La dynastie Agnelli se retrouve également à la tête d’entreprises de construction, de cimenteries, de chalutiers et de navires marchands, sans oublier des groupes agroalimentaires et de presse, dont le quotidien turinois d’audience nationale, La Stampa.

La Fiat 500 des années 50

COMMIS D’OFFICE

En 1966, Gianni Agnelli a 45 ans quand il prend la présidence du groupe. Un grave accident de voiture, dans lequel il a perdu la jambe droite, et un mariage l’ont assagi. Valetta lui remet donc les clés d’une Fiat forte, viable financièrement et apaisée socialement. La lune de miel dure trois ans. Mais alors que le groupe, qui vient d’inaugurer une seconde méga usine à Rivalta di Torino, produit des avions de chasse, devient actionnaire de Ferrari et construit des usines dans le sud du pays ou à l’étranger (Argentine, URSS, Brésil, Pologne, Turquie, Inde…), Turin se retrouve au cœur des mobilisations ouvrières de l’Automne chaud (1969) et des crises des années 70.
Entre pressions syndicalistes et menaces terroristes -les Brigades Rouges enlè- veront d’ailleurs le chef du personnel de Fiat, assassinèrent des chefs d’atelier et des directeurs-, celui qu’on prenait pour un play-boy inculte et inexpérimenté, va, en 10 ans, se révéler capitaine d’industrie charismatique et instinctif. En 1979, après avoir perdu près de 200 000 véhicules pour grève, il commence par licencier 61 ouvriers de Mirafiori, accusés de violences dans l’usine, voire de terrorisme, puis annonce le remplacement de 23 000 autres par des automates. Mais c’est la «marche des 40 000», un an plus tard, qui assène le coup de grâce au mouvement syndical : des milliers de dirigeants, cadres moyens, employés de Fiat, mais aussi ouvriers et citoyens manifestent contre la grève qui a lieu au même moment.
Pour beaucoup d’Italiens, Gianni Agnelli a non seulement sauvé Fiat, mais préservé l’Italie du communisme et de la paralysie. Pour d’autres, son influence, au-delà de Fiat, aurait conditionné le développement économique du pays: attentifs à la santé du mastodonte turinois, les différents gouvernements auraient notamment sacrifié le ferroviaire au profit de l’autoroute et mis en place des batteries de mesures (primes pour l’achat de véhicules neufs ou autres) favorables à son équilibre. En échange de quoi, la «Mamma» Fiat garantissait emplois, puissance industrielle et prestige à l’étranger.

Dans l’usine Mirafiori à Turin

FIAT QUI PEUT !…

Mais la fin du millénaire marque un tournant dans la toute-puissance turinoise. Malgré les succès des Panda, Uno, Punto ou autre Brava, les ventes baissent, les bénéfices du groupe déclinent. Face à la concurrence, allemande notamment, la production italienne paraît bas de gamme et peu fiable. Pour surmonter ces difficultés financières, en 2000, Gianni Agnelli, octogénaire, mais toujours en fonction, vend 20% de la division automobile de Fiat à General Motors. Cet apport ne suffit pas, deux ans plus tard, pour ne pas sombrer, Fiat doit faire appel au soutien d’un consortium de banques italiennes. Quand Gianni Agnelli meurt en 2003, 150 000 personnes défilent devant sa dépouille à Turin, rendant hommage à ce «Roi sans couronne» qui n’avait pourtant pas réussi à sortir Fiat de l’impasse.
C’est entre les mains de son petit-fils, John Elkann, que l’entreprise turinoise retrouve son faste, avec l’aide de Sergio Marchionne, administrateur du groupe choisi par «l’Avvocato» lui-même pour épauler sa descendance. Bonne pioche. Réduction des coûts, nouveaux modèles, attention portée au design : dès 2005, il fait passer Fiat du rouge au vert (ne manque plus que le blanc…) après quatre ans de pertes.
Son coup de génie, c’est d’avoir sorti en 2007, 50 ans après la sortie du 1er modèle, la nouvelle Fiat 500. Symboles de la renaissance de la division automobile du groupe, les 2 millions de nouvelles 500 sont produites en Pologne, mais véhiculent l’image sexy et design de l’Italie à travers le monde. Marchionne ajoute surtout une dimension internationale à la marque piémontaise en s’alliant à l’Américain Chrysler. Son objectif ? Faire du groupe Fiat Chrysler Automobile (FCA), propriétaire des marques Alfa Romeo Lancia, Jeep, Maserati, l’un des premiers constructeurs au monde. A son décès, à l’été 2018, il sera pleuré comme l’Avvocato. Car les Italiens ne s’y sont pas trompés, avec FCA, Marchionne a peut- être perdu le I d’Italie et le T de Turin, mais il a sauvé FIAT.

La Fiat 500 Spiaggina, la voiture de plage, by Garage Italia, 2018

BELLA TORINO ciao !

Pendant plus d’un siècle, Fiat a fait battre le cœur de Turin, avant de la déserter, pas à pas. En 1983, quand le Lingotto a fermé ses portes pour déménager au sud-ouest de Turin, le carillon des outils a cédé la place aux sirènes du consumérisme moderne. Centre commercial, salle de concert, cinémas, hôtels, galerie d’art, musée… remplacent désormais les machines. Transformé par l’architecte Renzo Piano, le Lingotto réhabilité est donc désormais le plus grand centre de congrès d’Europe. Au sommet, le Scrigno («boîte à bijoux»), dernière étape du processus de restructuration qui dura 20 ans, abrite la pinacothèque Agnelli : une extraordinaire collection d’œuvres d’art, propriétés de l’Avvocato et sa femme, comprenant notamment une série, unique en Italie, de sept chefs-d’œuvre de Matisse, ainsi que des œuvres de Manet, Renoir et Picasso. L’usine historique du Corso Dante, au cœur de Turin, elle, a fermé ses portes en 1990. Partiellement conservée et restaurée, elle abrite actuellement le Centre historique et les archives Fiat. Le site de Mirafiori, centre névralgique de l’entreprise depuis la fin des années 1930 héberge encore la production du SUV Levante de Maserati mais il a récemment ouvert un espace de 15 000 m2 dédié aux voitures anciennes du groupe : plus de 250 véhicules de collection dont certains n’ont jamais été exposés auparavant. Quant à l’usine de Rivalta, elle a été transformée pour la production de composants aéronautiques de Fiat Avio, ex-filiale aéronautique du groupe.

 

Mélanie Marullaz

Mélanie Marullaz

Journaliste SURNOM: Poulette. PERSONNAGE DE FICTION: Elastigirl. OBJET FETICHE: mon oreiller. ADAGE: à chaque Barba-problème, il y a une Barba-solution. (philosophie Barbapapienne) JE GARDE: mes épaules. JE JETTE: mes grosses cuisses de skieuse. DANS 20 ANS? la tête de mon père sur le corps de ma mère. presse@activmag.fr

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