Baby seater
Paul Venaille est un puriste. Esthétiques sobres, couleurs pop, les objets de l’artisan-designer séduisent en trompe-l’œil. A surveiller de très près.
La voix, douce, cherche parfois les mots. Hésite, bute légèrement. Paul Venaille réfléchit avant de répondre aux questions, le jeune designer n’a pas la grosse tête. Poussé dans la ville de Lyon, il s’épanouit aujourd’hui à Paris. Et l’horizon du lauréat « Jeunes Créateurs des Ateliers d’Art » 2014 s’élargit ici, dans son nouvel atelier de Pantin. Un atelier pour de vrai, qui sent le travail de la main et la matière concrète.
LAVOPRATIC
En 2012, Paul Venaille secoue gentiment l’univers du design. Son projet de fin d’étude révèle un créateur inventif et curieux. L’objet semble fragile. Juchée sur un fin zigzag métallique, la plaque de sycomore est comme en équilibre. Aérienne, géométrique. Et sobre. Pourtant, l’esthétique calme et pratique de « subduction » abrite un chaos. Le plateau coulissant découvre 12 rangements couleurs feu, magma, brasier. Les mouvements de la terre selon Paul Venaille : “Le thème de fin d’étude était la fragmentation. J’ai réfléchi au mouvement des plaques tectoniques, la subduction. Le plateau du bureau reproduit exactement ce mouvement. C’est un clin d’œil à l’instabilité. Les rangements symbolisent l’éruption volcanique. J’aime ces principes de métamorphoses”. Et « subduction » résume le travail d’un designer que les jeux de construction passionnent.
LE MANUEL DE L’ARCHITECTE
La passion ne date pas d’hier. Petit, Paul construit déjà à tout va. Lego, mécano, Kapla, tout y passe. Il dessine aussi. Construction, dessin, l’orientation semble évidente. Un BAC S plus tard, le Lyonnais entre en école d’architecture. Mais la discipline le déçoit : “ça n’était pas assez concret, pas si créatif. Il fallait répondre à des demandes très précises de logements, de bâtiments publics, alors que je voulais créer des choses et les voir naître ! C’est plus rapide de voir un meuble fini qu’un bâtiment fini !”. Faire, construire, toucher, le jeune Lyonnais sait désormais ce qu’il veut. Et délaisse l’architecture pour un CAP menuiserie. Parce que le bois est chaleureux, sensuel. Parce qu’il sent bon. Il enchaîne un CAP d’ébénisterie auprès des Compagnons, obtient son diplôme des Métiers d’Art en 2012. Un parcours en tectonique des plaques, une histoire de glissement. Déjà.
Mon objet incontournable ? Une chaise. Je pense que c’est l’objet le plus proche de l’homme. Et puis, allez savoir pourquoi, tous les designers font des chaises !
AMUSEUR AMUSÉ
Aujourd’hui, Paul Venaille s’amuse. Si ses créations épurées, si sobres en apparence, concrétisent un esprit raisonné, elles révèlent aussi son côté joueur. Il admire Jasper Morrison, rien d’étonnant. Les objets fonctionnels déroulent des courbes harmonieuses et sans excès. Mais le designer apprécie aussi l’exubérance d’un Ron Arad, ou les facéties en trompe-l’œil du plasticien lyonnais George Rousse. Un maître de l’anamorphose auquel il rend hommage en inventant Baby Pop. Une chaise, un jeu d’assise et de carré rouge de confusion. Baby Pop déroute, Paul Venaille se régale : “Fabriquer des objets ludiques, c’est important. Comme il est important de s’amuser en créant. Un objet amusant est un objet différent.”
LE SUCCÈS EST LOIN D’ÊTRE ACQUIS
La consécration ? Pas encore tout-à-fait. Mais les Ateliers d’Art de France reconnaissent la singularité de Paul Venaille en juin 2014. Il n’avait pas prévu ça : “J’ai postulé au concours sans aucune conviction, c’était une énorme surprise ! J’étais en voiture quand j’ai reçu le coup de téléphone, je ne m’y attendais pas. Tout est parti de là…”. Dans la foulée, Tommy Hilfiger lui demande 11 chaises Baby Blue pour meubler ses boutiques. Une commande prestigieuse qu’il tempère : “Le succès est loin d’être acquis. On parle de moi, c’est flatteur, mais je n’y accorde pas vraiment d’importance. Ça me touche, évidemment. Mais il me reste beaucoup de choses à faire”. Du sur-mesure, entre autres, comme cette bibliothèque créée pour la galerie parisienne Galerie and Co 119. A l’ombre de l’atelier de Pantin, Paul Venaille réfléchit à d’autres croquis. Des croquis qui, pour l’instant, ne parlent qu’à lui. D’une voix douce, évidemment.
+ d’infos : www.facebook.com/venaille.paul