contre pieds
Un peu trop grecs sur les bords, pas assez égyptiens incarnés, on les trouve souvent moches, tordus ou disproportionnés, ils sont comme tout attribut, sujets à contradictions. Mais quand l’accessoire beauté s’en mêle, attention à n’pas prendre une semelle !
J’errais tranquille, tunique légère, vernis cramponnés dans mes tongs. Raffinés, mignons et discrets, c’est la base. J’avais rendez-vous avec un ami de toujours, vieux de corps et jeune d’esprit, pas très sain du bassin, mais intemporel comme j’aime. Allure décalée des vestiges de son âge, toujours un détail vintage saveur naphtaline sauvage, très attentif à la mode pour rester in, il garde l’espoir de ME mettre un jour, chaussure à son pied. Que nenni, plutôt moisir dans des espadrilles en vinyle que de me transformer en pompe pour teenager périmé.
A cet instant, je n’avais encore pas mesuré l’ampleur de son «in the mood». J’avais bien sûr lu quelques bribes d’articles dans les magazines de mode super branchés et découvert l’ultime mocheté de porter, entre autres, des bas de laine sous un soleil de plomb. J’avais plutôt ri d’imaginer le flop total, personne n’oserait un tel affront pour l’humanité.
Mais quelques mètres avant mon point de chute, j’ai compris ma douleur jusqu’au fond des globes oculaires. La journée anti ballerine peut se rhabiller. Il m’attendait à la terrasse d’un café, short en jean, débardeur floqué et petites sandales de cuir absorbées par le subtil fumet de ses chaussettes gorgées de canicule.
Au secours ! Demi-tour? C’est trop tard. Va falloir assumer l’asticot. C’est trop tôt ! Je ne suis pas préparée à ce raz-de-marée. Il a sûrement les deux pieds dans le même sabot pour afficher des antiquités aussi laides ! Il a beau être marrant de temps en temps, la drôlerie a ses limites que l’esthétique n’excuse point !
Il me gonfle à imaginer un instant qu’une petite paire de socquettes sous des spartiates à lanières puisse renverser la vapeur ! Ça date d’avant JC, ou bien ?! C’est un coup à déclencher un décollement de rétine ! Et l’odeur ? Seigneur tout puissant.
Gladiateur dans l’âme, parce que c’est la mode, je l’ai rejoint. Planquée derrière mes verres teintés dernier cri, sac en paille sur mes cuisses, sphincters verrouillés, apnée totale et orteils recroquevillés, façon tubulure sous pression, j’ai hurlé à la laideur absolue, à la malédiction pédestre, à l’ignominie de la tendance gériatrique, mais toujours d’un ton raffiné, mignon discret, évidemment, c’est la base.
Rouge de honte, un peu vert aussi, il m’a ventilé que, mycose incrustée, il était obligé. Quoi ? De la contrefaçon ? On touche le fond.
