the snow must go on
QU’ELLE SEMBLE LOIN LA GLORIEUSE ÉPOQUE DES «BRONZÉS FONT DU SKI»! UN SKI INDUSTRIEL, UN ENNEIGEMENT ABONDANT, DES STUDIOS « CAGES À LAPINS » REMPLIS CHAQUE SEMAINE PAR DES COHORTES DE TOURISTES DÉSIREUX DE SE GOINFRER EXCLUSIVEMENT DE SKI. DEPUIS DIX ANS, UN VENT MAUVAIS SOUFFLE SUR NOS STATIONS. BLIZZARD-MENT, ALORS QU’ELLES ÉTAIENT LES REINES DES NEIGES, ELLES ONT ÉTÉ DÉTRÔNÉES PAR LES ETATS-UNIS ET L’AUTRICHE. IMPOSSIBLE DE FAIRE L’AUTRUCHE ! POUR RETROUVER L’IVRESSE DU FLOCON, IL VA FALLOIR CHANGER DE MODÈLE DE DÉVELOPPEMENT. UNE VRAIE RÉVOLUTION !
Pas simple, car, comme l’a dit autrefois Jean-Pierre Raffari, la route est droite, mais la pente est forte, avec une avalanche d’obstacles : changement climatique, nouveaux modes de consommation, concurrence étrangère croissante.
« LA NEIGE, ELLE EST TROP MOLLE »
La glissade est lente, irrégulière, mais inexorable. De 58,9 millions de journées-skieurs en 2008-2009, on est passé à 53,4 millions en 2018-2019. Sur cette dernière saison, tous massifs confondus, la baisse est de 1%. Pour Laurent Reynaud, délégué général des Domaines skiables de France (DSF), “l’explication est multifactorielle”. Et impossible, cette fois, de se réfugier derrière le manque d’enneigement qui était correct. Ou d’invoquer les défauts du calendrier scolaire. Faut-il incriminer la gêne des gilets jaunes, dont la fixation sur les ronds-points aurait fait patiner l’accès aux stations ? La triche de l’Autriche, qui «ress-kille» nos skieurs ? Un coup de Trafalgar des Anglais, qui, avec le Brexit, nous font «mariner» et hésitent à venir godiller? Autre hypothèse, souvent ressassée dans les médias, le prix des forfaits serait dissuasif pour les jeunes et les familles modestes, qui, du coup, déclarent forfait. Le ski alpin, un loisir de riches, réservé aux gros bonnets ? Vieille complainte, mais “il faut briser ce mythe”, affirme Armelle Solelhac, PDG de l’agence Switch, et auteure en 2019, d’une étude fouillée sur «Le management et le marketing des stations de montagne». “Avec un prix moyen de 26,60 euros/jour, la France a un des forfaits les moins chers du monde. Comparons-le au coût d’une place de cinéma à 12 euros ! Et, même pour les grands domaines, si on ramène son coût au kilomètre de pistes offerts, il est moins cher que dans les stations suisses ou autrichiennes”. Du reste, les Etats-Unis n’ont-ils pas réussi à faire progresser leur fréquentation de + 11% l’an dernier alors que leurs forfaits tournent autour de 80 dollars la journée ?
« VOUS SAVEZ CE QUI NE VA PAS MONSIEUR DUSSE ? »
En fait, il faut gratter jusqu’à la sous-couche pour découvrir les lacunes structurelles de nos stations, inhérentes à leurs spécificités culturelles, géographiques, économiques et historiques. Une gouvernance complexe, répartie entre les pouvoirs publics et une multitude d’acteurs privés. Plus facile, en effet, d’élaborer une stratégie et de commercialiser une station aux Etats-Unis ou en Scandinavie, quand le domaine est aux mains d’un seul groupe privé ! Un positionnement, trop généraliste, inadapté désormais aux nouvelles attentes d’une clientèle zappeuse et exigeante. Un sous-investissement chronique. Qualité des services, activités après-ski, facilité d’accès, enneigement artificiel… Nos stations sont loin des standards des concurrents suisses ou autrichiens. Des domaines skiables immenses, mais pas toujours lisibles pour les skieurs. Des charges jugées élevées, un parc immobilier vétuste et un endettement préoccupant complètent ce tableau peu reluisant. Comment préparer l’avenir dans de telles conditions ? Comment anticiper sérieusement le réchauffement climatique, sachant qu’en 2080, 85 % de nos stations auront disparu, et que la fonte du permafrost en altitude rendra impossible les ancrages de grosses remontées mécaniques ? Comment dépoussiérer l’image has-been de certaines stations et renouveler la clientèle vieillissante des baby-boomers ?
« QUAND TE REVERRAIS-JE, PAYS MERVEILLEUX ? »
Pour l’heure, face à l’urgence des enjeux, les stations saupoudrent les mesures. Une pincée de festival électro E-Wax ou de «Folie douce» par-ci pour attirer les jeunes, un soupçon de greenwashing par-là, pour se donner une image écolo à peu de frais, avec une dose de digital pour faire «connecté», et une pointe de nouvelles remontées mécaniques à haut débit. Mais, à plus long terme, la réflexion prospective reste encore balbutiante. Les profession- nels du secteur semblent chercher leur salut dans des concepts marketing ronflants, venus du monde anglo-saxon, et promus par Starbucks, Ikea, ou Airbnb.
Ainsi, il ne faut plus «vendre du ski», c’est trop ringard, mais proposer aux touristes de vivre une «expérience» émotionnelle autour de la montagne, personnalisée, unique, en insistant sur la qualité de l’accueil, du service client, et la fluidité des parcours dans la station. Des évidences basiques en somme, mais présentées comme une stratégie révolutionnaire. Elle était même au cœur des échanges, en octobre dernier, lors du congrès des Domaines skiables de France à Besançon. Quand vous avalez votre fondue, après une journée sur les pistes, vous ne mangez pas seulement du fromage, vous vivez en réalité une expérience culinaire. Défense de rire ! Alors, à quoi ressemblera une station de ski dans 50 ans ? Nul ne le sait encore vraiment. Elle reste à construire. Finalement, sur ce point non plus, on n’est pas près de conclure, pas vrai Jean-Claude Dusse ?
© Yevheniia